Dirigeants d'expéditions polaires

Les compétences « critiques » d’un manager de projet
Le cas d’un chef d’expédition polaire
Pascal Lièvre *, Géraldine Rix **, Michel Recopé **

* CRET-LOG, Université Aix Marseille II, CRCGM, Université d’Auvergne
** LAPRACOR, Université Blaise-Pascal


L’objectif de cette recherche est de rendre compte des compétences critiques, au sens de Vergnaud (1995), déclarées et mises en œuvre par un manager de projet dans l’exercice même de son activité. Nous avons choisi d’investir l’activité d’un chef d’expédition polaire.

Le choix du terrain des expéditions polaires apparemment exotique est légitimé d’un point de vue méthodologique et théorique : méthodologique parce que ce terrain permet une investigation lourde, au plus prés du déroulement de l’action, mais grandement « facilitée » pour le chercheur pour de nombreuses raisons que nous développerons ultérieurement; théorique parce qu’il y a un enjeu à investir pour les sciences de gestion, le mode de fonctionnement endogène d’une action collective à projet (Midler) dans un environnement évolutif, incertain et risqué dans le cadre de l’émergence d’une économie de la connaissance au sens de Foray (2000).

Initialement le programme de recherche engagé est de rendre compte du déroulement singulier d’une expédition polaire conduite par un expert que nous avons identifié comme relevant d’un style de pratique : exploration-découverte. A partir d’un observatoire constitué de deux outils, mis en œuvre par deux chercheurs respectivement : soit un Journal de Bord MultiMédia centré sur le collectif et soit un Dispositif d’Objectivations des Pratiques Situées centré sur chaque individu, nous avons suivi le déroulement d’une expédition au Labrador en 2005 pendant deux ans : de l’idée du projet en passant par sa mise en œuvre sur le terrain jusqu’à la phase de bouclage de l’opération en France.

Cet observatoire est le produit d’une réflexion méthodologique initiée depuis 2000 à partir de travaux issus de la psychologie du travail (Vermersch), de l’ergonomie (Theureau) et de l’anthropologie. L’observatoire est composé de deux outils d’investigation complémentaires : l’un, centré sur le collectif, est dénommé le Journal de Bord Multimédia et l’autre, centré sur chaque individu, s’appelle le Dispositif d’Objectivation des Pratiques Situées. Le Journal de Bord Multimédia est tenu par un chercheur dans une posture de participation observante en utilisant des traces écrites, mais aussi vidéo, recueillies régulièrement pendant toute la durée du projet. Ces traces sont mises en forme pour constituer un récit. Le Dispositif d’Objectivation des Pratiques Situées est mis en œuvre par un autre chercheur, dans une posture d’observation participante, sur des phases critiques, dans le déroulement du projet : il suppose un enregistrement vidéo extérieur de la séquence, un enregistrement à l’aide d’une caméra embarqué au plus prés du point de vue de l’acteur, un entretien ex-post avec l’acteur utilisant l’enregistrement précédent. Le dispositif permet une objectivation sous la forme d’un écrit chronologique, des connaissances tacites mises en œuvre par l’acteur en situation.

Dans le cadre du programme de recherche de la MRPP-CNAM « Analyse de l’activité des dirigeants » nous avions convenu de réaliser un travail sur cette thématique sur l’activité spécifique d’un chef d’expédition polaire. Faisant preuve d’un certain opportunisme méthodique au sens de Girin, il nous a semblé pertinent d’une part de réaliser un entretien avec le chef d’expédition pendant le déroulement même de l’expédition, sur le terrain, pour identifier avec lui l’activité spécifique du chef d’expédition de son point de vue, mais d’une manière générale, et d’autre part, dans un deuxième temps, d’aller mobiliser les pratiques singulières que nous avons pu observer en rapport avec cette manière de décliner sa fonction, à partir du corpus que nous avons construit à l’aide de l’observatoire.