Dirigeants d'entreprises de l'économie sociale

 

Projet de recherche : Responsable Emmanuelle Betton
 
La notion de dirigeant en économie sociale est une notion imprécise qui renvoie à une fonction dissociée. Telle qu’elle est employée en économie sociale, cette notion désigne pratiquement toujours les élus (registre politique) auxquels sont adjoints des cadres salariés occupant des positions qui leur confère un large pouvoir décisionnel quant aux ressources stratégiques (registre technique). Le registre d’orientation est attribuée aux élus, aux membres des conseils d’administration, mais aussi par délégation aux cadres dirigeants chargés de mettre en œuvre les orientations.
 
Dans les entreprises de l’économie sociale, la notion de dirigeant est donc traversée par un certain flou quant à ses limites et définitions. Ce flou provient en partie du sentiment de dissociation de la fonction, à quoi il faut rajouter cet élément particulier aux entreprises de l’économie sociale : la question de la démocratie. Ainsi, il serait possible de dire que les dirigeants sont juridiquement les électeurs (adhérents, sociétaires, usagers, ayants droits, etc.) On pourrait également énoncer que les dirigeants sont les membres du conseil d’administration. Mais, de fait, les membres des conseils d’administration, bénévoles, le plus souvent chargés de responsabilités militantes dans d’autres institutions, travailleurs salariés par ailleurs, n’exercent pas concrètement les fonctions de direction. La fonction de direction, dans son registre technique, ne se situe pas à ces niveaux. Cependant, c’est aux niveaux des instances électives que se définit, théoriquement, le « projet politique » de l’entreprise, censé définir les orientations vers lesquelles l’organisation a pour mission de se diriger. Le dirigeant salarié est alors celui qui se doit de décliner le projet politique en « projet d’entreprise », à partir de l’exercice des pouvoirs réels de décision concernant les ressources stratégiques de l’entreprise.
 
Dans ce contexte, la fonction et le champ d’activités du dirigeant salarié sont difficiles à qualifier, les contours de ses responsabilités et marges de manœuvre sont incertains.
 
En outre, si beaucoup de choses sont dites ou écrites sur ce que devraient faire les dirigeants, sur les valeurs qu’ils doivent porter et animer, on ne dispose pas de description fine de ce que ces acteurs font réellement. Les représentations de l’activité des dirigeants sont essentiellement d’ordre prescriptive et ne permettent pas d’appréhender leur travail effectif.
 
Dans ce travail de recherche, nous allons nous intéresser aux représentations des dirigeants relatives à leurs activités ainsi qu’à l’exercice effectif de leur activité.
Dans un premier temps, nous pourrons centrer notre analyse de l’activité et de ses représentations autour des points de difficultés suivants, qui mettent en jeu le sens de l’activité des dirigeants ainsi que leur identité professionnelle (ce qu’ils disent sur ce qu’ils doivent faire et sur ce qu’ils voudraient faire) :
  • l’articulation entre projet politique et projet d’entreprise : la coopération avec les dirigeants élus parait constituer un nœud relationnel, d’autant plus difficile à dénouer que la séparation des responsabilités de direction en une fonction politique et une fonction technique d’exécution peut finalement devenir un champ d’affrontement et d’incompréhension. On pourra mesurer à ce sujet le décalage qui existe entre le travail prescrit et auto-prescrit (énoncés sous forme de valeurs à porter et à décliner dans le projet d’entreprise) et le travail réel, ou encore le décalage entre le travail réel et ce que le dirigeant aurait souhaité faire.
  • la double posture de militants et d’employeurs : les dirigeants sont des militants en situation d’employeurs, ce qui ne va pas sans difficulté de positionnement, d’autant plus que les salariés sont en mesure de jouer de ces contradictions. Les dirigeants salariés éprouvent beaucoup de difficultés à se penser comme employeurs et à penser leur activité comme un métier. Nous nous intéresserons ici à tout ce qui peut être dit sur l’activité par le dirigeant lui-même, en le comparant avec ce qui peut être décrit et observé de cette activité (décalage entre le descriptif et le vécu).
  • Le sentiment de compétence (ou d’incompétence) des dirigeants : la question de la transférabilité des acquis du parcours syndical en compétences professionnelles pouvant être mises en œuvre dans l’exercice de la fonction de dirigeant est rarement abordée par les dirigeants eux-mêmes. Ils n’ont pas une vision claire de leurs compétences et de leurs savoir-faire. Et ne sont donc pas non plus en mesure d’identifier les champs d’activité pour lesquels une formation complémentaire leur serait nécessaire. Nous pourrons mesurer le décalage qui existe entre les représentations qu’ils ont de leurs compétences (ce qu’ils disent qu’ils savent faire) et la réalité des capacités qu’ils mettent en œuvre dans l’exercice de leur fonction. Travailler sur l’activité doit nous permettre ici de travailler sur l’identité professionnelle de ces acteurs et sur leur sentiment de compétence.

    (Rapport de recherche)